Titre

Liberté ou licence

C
es derniers temps, la fourmilière de la presse et de l’édition est parcourue par une grande agitation. Plusieurs publications ont été sanctionnées par des décisions de justice, généralement par voie de référés -procédure sommaire en cas d’urgence-, portant obligation d’occulter des passages considérés comme diffamatoires ou atteinte à la vie privée. Ces décisions imposent de lourds frais et de substantiels dommages-intérêts et amendes. Il est vrai qu’il s’agit surtout d’occurrences isolées, face au nombre de jugements frileux, voire laxistes, s’abritant derrière la sacro-sainte liberté d’expression, alibi commode pour permettre aux éditeurs de s’enrichir et aux magistrats d’éviter d’être pris dans le collimateur des auteurs et journalistes.

Le débat qui oppose l’intérêt public, le droit d’informer d’une part et d’autre part la protection du citoyen, de son honneur et de sa vie privée, de la présomption d’innocence est, surtout en France -qui se proclame la patrie des droits de l’homme- entaché d’ambiguité et faussé par l’hypocrisie. Les notions en jeu, évoquées par les éditeurs, dissimulent mal les motifs mercantiles sous-jacents. Seule la qualité d’homme public des cibles justifierait, à la rigueur, encore dans des limites rigoureuses, l’invocation d’un droit à l’information. Jeter des noms et des vies en pâture à la curiosité malsaine de lecteurs en mal de sensations fortes, est manifestement abusif et condamnable, surtout lorsqu’il s’agit, la plupart du temps, d’hypothèses non vérifiées, étalées sans preuves sérieuses. Certaines victimes de pareilles pratiques ne se relèvent jamais des calomnies, répandues à leur sujet.

La seule défense dont disposeraient les citoyens face à la voracité des propagandistes de scandales faux ou vrais, serait une législation répressive, à l’instar de celle des pays anglo-saxons. Non pas des mesures provisoires telles que astreintes ou occultations, que les juridictions d’appel ont pour coutume de réduire fortement, sinon à néant, mais des condamnations à des dommages-intérêts considérables, vraiment dissuasifs.

Il y a des libertés qui tuent. Pourquoi pas leurs bourreaux ?

J. P. François


Titre
Promenade en enfer
L
a crainte et l’espérance sont les deux mamelles de la civilisation. La religion en est le sous-produit. De tous temps l’enfer a figuré en bonne place dans le catalogue des fantasmes humains. Bosch et Brueghel en ont fait l’illustration caricaturale, mais c’est Sartre qui en a sans doute livré la meilleure définition réaliste: «l’enfer, c’est les autres».
L’autre, notre miroir, souvent impitoyable, l’autre si différent, l’obstacle contre lequel nous butons, qui fait de l’ombre quand il brille de tous les feux, bref, le point de mire de l’envie ou du ressentiment, la paille qui empêche de voir la poutre, la source de tous les échecs et insatisfactions.
La vie quotidienne fourmille d’exemples qui corroborent cette vision. La difficulté de vivre ensemble, dans l’harmonie, dans la solidarité, s’inscrit aussi bien dans le contexte familial que dans la vie sociale, sans oublier le plan politique où elle s’est érigée en règle fondamentale. Qui peut ignorer le nombre croissant des divorces, l’inquiétante désintégration des familles qu’un euphémisme explique par le conflit des générations que l’on attribue à des raisons économiques. Qui peut négliger la montée des racismes de tout genre, tantôt alimenté par les frustrations, tantôt par les échecs attribués à l’injustice, mais souvent aussi dus à des idéologies virulentes où la confusion entre patriotisme et nationalisme favorise l’endoctrinement des plus vulnérables et des moins éclairés.

La confusion entre
patriotisme et nationalisme favorise la montée
des racismes

Ainsi derrière une mince façade d’urbanité ou de civilité, couve la discrimination, voire la haine d’autrui, le rejet de l’autre. Le facteur économique contribue évidemment à l’aggravation du syndrome. Selon les latitudes, le blanc méprise le noir qui le lui rend d’ailleurs le plus souvent, l’ennemi c’est le maghrébin ou le juif, ou simplement l’étranger parce qu’il a d’autres coutumes. Mais ce phénomène ne s’arrête pas à la simple différence. Il s’étend aux conflits d’intérêts, affecte des proches ou concurrents jusqu’au sein des familles où naissent des haines, notamment à l’occasion de successions, à la mesure des liens d’affection qui unissaient antérieurement les protagonistes.
La politique est un domaine privilégié de désunion. S’il est vrai que la démocratie suppose, en règle générale, l’existence d’une majorité et d’une opposition, l’expérience quotidienne démontre, en particulier en France, le caractère artificiel de cette distinction. La véritable ligne de clivage est trop souvent déterminée par le choc d’ambitions personnelles, si ce n’est celui de règlements de comptes particuliers. Un passé commun semble favoriser l’éclosion de pareils antagonismes.
Cette mentalité de discrimination, de jalousie et de ressentiment est hélas! l’apanage surtout des vieilles civilisations. Sommes-nous pour autant condamnés
à poursuivre, sans fin, notre promenade en enfer? Réponse au prochain numéro...